Page 23 - Wizards

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à la porte de service et pénétra dans la cuisine de l’air le plus
nonchalant possible.
Sa mère n’était pas là, mais une délicieuse odeur de cuisine
emplissait la pièce – côtelettes de veau pour le dîner. Nita jeta
un coup d’œil dans le four, où mijotaient des pommes de terre,
et souleva un couvercle de casserole sous lequel des épis de maïs
cuisaient à la vapeur.
Son père, attablé dans la salle à manger, leva le nez de son
journal. Grand et bel homme aux manières un peu brusques,
il était doté d’une étonnante chevelure argentée et de mains
particulièrement habiles – « des mains d’artiste ! » s’esclaffait-il
parfois en arrangeant un bouquet. Il possédait le plus petit
des deux magasins de fleurs de la ville. Il adorait son travail :
pour aménager leur jardin, mais aussi ceux de plusieurs de
leurs voisins, il avait pris sur son temps libre et refusé toute
rémunération autre que la satisfaction de plonger ses mains
dans la terre. Où qu’il passe, tout poussait. « Les plantes et moi,
on a un accord ! » disait-il – ce qui semblait tout simplement
vrai. Les êtres humains, en revanche, le laissaient parfois
perplexe, à commencer par sa fille aînée.
Il posa son quotidien à plat sur la table et s’exclama d’un
air offusqué :
Bon sang, Nita ! Que s’est-il passé ?
À ton avis ?
ronchonna-t-elle dans son for intérieur. Elle
voyait les expressions se succéder sur le visage du quinqua­
génaire, limpides.
Mon Dieu
,
pensait-il,
ça recommence ! Mais
pourquoi ne se défend-elle pas ? Qu’est-ce qui cloche chez elle ?
Elle
connaissait la chanson : au bout d’un moment, il trouverait le
courage de lui poser directement la question. Elle s’efforcerait
une fois de plus de lui expliquer la situation et, comme toujours,