Page 24 - Wizards

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il essaierait de comprendre, sans succès. Nita se détourna et
ouvrit le réfrigérateur, pour la forme, afin de cacher à son père
une grimace d’impatience et d’irritation. Elle était fatiguée de
ce rituel, mais comment y échapper ? Il semblait aussi inévitable
que l’empoignade qui avait précédé.
— 
Je me suis battue, répondit-elle, récitant le couplet
suivant de la rengaine, la deuxième réplique de la scène.
Avec lassitude, elle referma le frigidaire, posa son livre sur
le comptoir à côté de la cuisinière et ôta sa veste pour y traquer
d’éventuelles déchirures, quelques traces de terre ou de sang.
Alors, tu en as maté combien ? lança son père avant de
retourner à sa lecture, le visage toujours empreint d’exaspération
et de perplexité.
Nita soupira.
Il a l’air aussi lassé de ce cirque que moi. Mais
pourquoi insister ? Il connaît les réponses par cœur.
— 
Je ne sais pas trop, répliqua-t-elle. Elles étaient six.
Quoi, six ?
À ces mots, sa génitrice émergea du salon et valsa jusque
dans la lumière de la cuisine. La contempler suffisait parfois à
arracher un sourire à Nita. C’était encore le cas ce soir-là, malgré
la douleur que l’adolescente éprouvait à chaque mouvement.
Avant de rencontrer son père, sa mère avait été danseuse, et la
grâce de chacun de ses déplacements donnait l’impression d’un
ballet répété encore et encore, jusqu’à la perfection, fascinant
à regarder. Elle semblait voler vers la corde à linge, virevolter
devant la cuisinière.
Elles ont préféré jouer la sécurité, on dirait !
— 
Il faut croire…
Nita n’avait pas tellement le cœur à ce ping-pong verbal, elle
souffrait trop. Alertée par la douleur qui perçait dans sa voix,