Page 18 - Widdershins

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à chaque fois s’être blessée. Une fois rassurée sur l’état de ses
articulations, elle se redressa pour examiner les alentours.
D’épais buissons fleuris, plantés à intervalles irréguliers – sans
doute avait-on jugé cette asymétrie de bon goût –, ornaient un
parc aux couleurs variées. Quelques arbres s’étiraient avec grâce
vers les étoiles, des sculptures et des fontaines en pierre se dressaient
un peu partout sur le domaine. Malgré l’obscurité, Widdershins
reconnut deux satyres, une nymphe dénudée et un chérubin en
train d’uriner. Il flottait sur l’ensemble un parfum douceâtre
et écœurant, comme si l’association d’un si grand nombre de
fleurs écloses faisait ressortir le pire en chacune d’elles. L’air en
permanence maladif de Doumerge n’avait rien d’étonnant.
Une démesure grandiloquente suintait du lieu. Widdershins
songea au baron et à ce qu’il représentait – à ce qu’elle-même avait
failli devenir, dans une autre vie – et esquissa unemoue dédaigneuse.
Olgun ? demanda-t-elle d’une voix réduite à un murmure.
Des chiens ?
Une pause, puis une réponse.
Ah…Et est-ce que tu penses que tu pourrais arranger ça ?
Il se rengorgea.
Tu t’en es déjà occupé.
Ce n’était pas une question.
Nouvelle réponse affirmative.
Widdershins soupira.
— 
J’espère que tu ne leur as pas fait de mal.
Décharge d’émotion horrifiée qui traversa le corps de la
jeune femme, si violente qu’elle en frémit.
D’accord, pardon ! siffla-t-elle. Je sais que tu aimes les chiens.
Bien sûr que tu ne leur ferais aucun mal ! J’ai dit ça sans y penser !
Le dieu renifla, dédaigneux.
Arrête un peu, j’ai dit que je m’excusais ! On y va, main­
tenant ? La nuit va nous claquer entre les doigts.