Page 15 - Widdershins

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Pendant une poignée de minutes – un peu plus qu’une
poignée, à vrai dire –, elle resta étendue là sans bouger, haletante,
pour reprendre son souffle. Elle fit une moue agacée quand
survint la question de son divin passager.
Peut-être, mais ce chemin était plus rapide, chuchota-t-elle.
Olgun eut une réaction amusée et un rien taquine. Elle le
rabroua aussitôt d’une voix cinglante :
N’importe quoi ! Je n’ai pas joué les acrobates juste pour
prouver que j’en étais capable !
Certaines émotions se traduisaient en mots plus facilement
que d’autres. En l’occurrence, la réplique du dieu s’avéra très
voisine d’un sempiternel : « Mais oui, bien sûr. »
Widdershins se releva en grommelant – sans tenir compte
des tiraillements de sa sangle abdominale – et entreprit de passer
de toit en toit. Un pas de ce côté, un bond de l’autre, un bref
trottinement au sommet d’un mur tout proche… et, près d’un
quart d’heure plus tard, elle s’arrêtait sur un bâtiment séparé du
palais Doumerge par une large avenue.
Le boulevardmarquait la frontière entre deuxmondes. Derrière
la jeune femme, les bâtisses carrées et trapues du quartier commer-
çant. Comme la majorité des constructions les plus récentes de la
cité, elles étaient en pierre de mauvaise qualité ou en bois peint
au petit bonheur. Elles n’abritaient que des échoppes. Devant elle
en revanche, une rangée de manoirs. Toitures pentues, corniches
et contreforts ornementés, gouttières à multiples cannelures et
gargouilles grimaçantes, tout de marbre ou de pierre blanchie à la
chaux, ces demeures avaient acquis avec le temps une arrogance qui
ne devait plus rien à leurs occupants. Les lignes dures et les angles
aigus de la pauvreté face aux arches gracieuses de la richesse…
Widdershins avait vécu des deux côtés de cette frontière, et
elle ne se sentait vraiment à l’aise ni dans un monde, ni dans
l’autre. Accroupie sur le toit en terrasse, ombre parmi les ombres,