Page 10 - Widdershins

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Votre Grâce, dit-elle d’une voix rauque mais modeste,
c’est un grand honneur.
La diversion maladroite de Doumerge avait inspiré à Béatrice
Luchêne une pointe d’amusement, qu’elle dissimula de façon
habile avant de jauger la nouvelle venue d’un rapide coup d’œil.
Elle était jeune, cette Madeleine Valois, tout juste sortie de
l’enfance, avec un visage mince, des traits anguleux et de grands
yeux couleur océan. D’opulentes boucles blondes s’empilaient
au sommet de sa tête – une perruque, de toute évidence, mais
quoi de plus naturel dans une soirée où la moitié des invitées
en portaient. Elle était vêtue d’une lourde robe de velours d’un
vert profond. D’une façon générale, fût-ce de manières ou de
silhouette, peu de détails la distinguaient d’une dizaine d’autres
dames de qualité.
Et cependant…
Après avoir accueilli la génuflexion de la demoiselle d’un
léger signe de tête, la duchesse fit remarquer :
— 
Il me semble vous avoir déjà vue quelque part, ma chère.
Sans doute, votre Grâce, répondit Madeleine qui, pleine
d’humilité, gardait la tête baissée. J’ai eu le privilège d’assister à
d’autres bals et dîners avant ce soir. Mais c’est la première fois,
ajouta-t-elle, le souffle court, un sourire radieux adressé à leur
hôte insignifiant, que l’on me fait l’honneur d’une présentation
officielle.
Ah… (Manifestement, l’esprit de la vieille dame était déjà
ailleurs.) Eh bien, ce fut un réel plaisir de vous rencontrer, mon
petit. Profitez bien de la fête, voulez-vous ? Où en étions-nous,
mon cher baron ? poursuivit-elle en se tournant d’un coup, tel
un oiseau de proie, vers le pâle maître des lieux.
*