Page 23 - Widdershins

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était orientée à l’ouest (impossible de laisser les yeux du baron
souffrir à la lumière de l’aube chaque matin, quelle idée !), d’où
brillaient pour l’heure les derniers éclats de la lune couchante.
La pièce arborait un style tapageur. De toute évidence, le
baron conservait l’impression puérile que « plus
»
signifiait
toujours et forcément « mieux ». Tableaux, armes serties de
pierres précieuses et même quelques tapisseries de modeste
dimension encombraient les murs, et faisaient ressembler le tout
à ces coffres qui débordent d’articles sur les étals des marchés. Un
lustre de mauvais goût, en forme de pyramide d’or de Geurron,
pendait au-dessus du lit. Un grand miroir d’argent surplombait
un meuble bas qui disparaissait sous un monceau de bibelots,
petits bidules et autres babioles – bijoux, brosses dorées, boîtes
incrustées de joyaux –, éparpillés dans le plus parfait désordre.
Widdershins n’y accorda aucune attention. Tout objet dérobé
dans la propriété Doumerge serait trop facile à tracer. Mais pas
l’argent. Paranoïaque comme il l’était, le baron d’Orreille gardait
sans aucun doute à portée de main, en cas d’urgence, un coffre-
fort rempli de pièces : voilà ce qu’elle était venue chercher dans la
chambre de cet homme, à quelques instants des premiers tressail­
lements de l’aube. Discrète, d’une main assurée, la voleuse fureta
d’un bout à l’autre de la salle en laissant errer ses yeux et ses mains,
aux aguets. Le baron continuait de ronfler, sinon paisible, dumoins
abandonné, tout le temps où sa chambre était passée au crible.
Noyé dans la symphonie nocturne du baron, enseveli sous
l’épaisseur des couvertures et des édredons, le dernier occupant
de la pièce faillit bel et bien échapper à l’inspection pourtant
méthodique de Widdershins. Ce n’est que lorsque la voleuse
eut atteint le coin opposé du lit qu’elle remarqua la présence
de la jeune femme qui somnolait au côté de l’aristocratique
rongeur – une courtisane de la haute société, à en juger par ses
vêtements, soigneusement pliés sur le sol, et son visage encore