Page 8 - Gardiens des Cités Perdues

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Dans ce cas… peut-être pourriez-vous nous expliquer
pourquoi vous écoutiez votre iPod au lieu de suivre mes
explications ?
M. Sweeney brandit bien haut les écouteurs, comme s’il
s’agissait d’une pièce à conviction – ce qu’ils étaient sans doute
à ses yeux, d’ailleurs. Il avait emmené la classe de Sophie au
musée d’Histoire naturelle de Balboa Park, persuadé que le
voyage ravirait les lycéens. Pourtant, à défaut de voir les répliques
de dinosaures géants prendre vie pour dévorer les visiteurs, la
plupart s’ennuyaient ferme. Mais lui ne semblait pas l’avoir
remarqué.
Sophie s’arracha un cil au coin de l’œil – un tic nerveux – et
fixa ses pieds. Comment faire comprendre à M. Sweeney qu’elle
avait besoin de musique pour noyer un bruit obsédant que lui
n’entendait même pas ?
Les bavardages des dizaines de touristes présents se réper­
cutaient sur les murs constellés de fossiles et plongeaient la vaste
salle dans un vacarme perpétuel. Mais le vrai problème, c’était
les voix intérieures.
Le cerveau de Sophie captait des bribes de pensées éparpillées,
déconnectées les unes des autres, un peu comme dans une pièce
remplie de télévisions qui beugleraient toutes en même temps des
programmes différents. Lorsqu’ils tranchaient dans le vif de sa
conscience, chacun de ces fragments éveillait une douleur aiguë.
Un monstre, voilà ce qu’elle était.
Elle gardait ce secret – portait ce fardeau, pour être honnête –
depuis le jour où, à l’âge de cinq ans, elle avait fait une mauvaise
chute et s’était cogné la tête. C’est ce jour-là qu’elle avait
commencé à entendre ce que tout le monde pensait autour d’elle.
Elle avait tout essayé pour étouffer ce phénomène. Pour l’ignorer.
Mais rien n’y faisait. Et impossible d’en parler à qui que ce soit.
Personne n’aurait compris.